CHARLES
GIULIOLI
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A propos d’art numérique
Question de style
Qu’est-ce que le style d’un artiste ? Est-ce la manifestation d’une réalité essentielle de son être profond ? Est-ce l’accumulation fortuite d’habitudes prises au cours d’années de travail? Serait-il possible d’imaginer une machine qui serait capable d’imiter le style d’un artiste ? C’est cette question qui a déclenché mon intérêt pour l’art numérique dès 2003
La Machine à Peindre
C’est ma propre peinture que j’ai soumise à l’analyse pour créer mon premier programme, « La Machine à Peindre ». Cette situation de « regardeur » de mes propres travaux m’a beaucoup appris. J’ai découvert que certains éléments étaient déterminants alors que d’autres étaient accessoires, j’ai découvert qu’au fil des années j’avais acquis des habitudes, je me suis demandé pourquoi certaines œuvres me semblaient plus fortes que d’autres. J’ai enfin écrit un programme informatique qui peut créer des images qui ressemblent aux oeuvres que je peux peindre. Et j’ai pu imprimer ces œuvres sur des supports matériels tels que le papier, la toile ou l’aluminium. Le principe de mon programme est d’instituer des règles précises de composition du tableau tout en laissant beaucoup de choix « au hasard » à l’ordinateur.
Ma surprise a été de découvrir que cette part d’aléatoire dans l’œuvre est non seulement source de « heureux hasards » mais aussi une expression de la contingence universelle. Il y a quelque chose de léger et joyeux dans la gratuité des propositions. Un signe qui apparaît par pur hasard, sans autre raison que sa seule présence me communique un sentiment de liberté, un peu comme je l’avais découvert dans les « joyeux hasards » de François Morellet ou les « machines libres » de Jean Tinguely. Cette irruption du hasard est une porte ouverte à l’imprévu et à la nouveauté, une façon de voir le Monde bien différente de celle du peintre.
L’œuvre Sans Fin
Le hasard est ainsi devenu la matière même de mon travail. En m’éloignant du point de vue strictement pictural, je me suis attaché à faire ressentir la présence du temps, cette « création continue d’imprévisible nouveauté » selon l’expression de Bergson. Dans les œuvres « génératives », l’image se crée en direct, les accidents surviennent de façon aléatoire et l’image évolue librement. Il se passe réellement quelque chose là, sous nos yeux. Le mouvement et le rythme sont les ingrédients de ce travail. Ce n’est plus l’image enregistrée qui constitue l’œuvre, mais son passage dans le temps. Percevoir ce temps qui passe sous forme du « toujours même et toujours différent ».
Lignes libres
Petit à petit, les programmes que j’écris s’éloignent de ma peinture. Dans les « Lignes Libres », il n’y a plus trace de mes dessins, les formes sont le fruit du calcul mathématique. Sur l’écran, une ligne se dessine, comme une écriture. Mon regard suit la pointe extrême de la ligne et son mouvement me dit quelque chose de ma vie. L’équation mathématique donne un « style », une cohérence d’ensemble, à la ligne tandis que les paramètres aléatoires la rendent totalement imprévisible dans le détail. Cet étrange composé de structure et d’improvisation, un peu à la manière du Jazz en musique, font écho à ma propre existence.
Pourquoi numérique ?
L’ordinateur est un outil extraordinaire, sa capacité à produire du hasard de façon simple ainsi que la possibilité de créer des images qui évoluent dans le temps ouvrent des voies nouvelles. On peut également s’émerveiller sur la qualité de la lumière, des transparences et des couleurs qu’il permet. Cependant, il serait naïf de penser que l’ordinateur crée des œuvres par lui-même. Le travail se situe simplement en amont de l’image elle-même. Une autre caractéristique est la rapidité de production et l’abondance des images produites. Le rapport à l’image s’en trouve modifié. Le travail de sélection est extrêmement important. Ces choix sont particulièrement intéressants parce qu’il obligent à comprendre pourquoi certaines images retiennent mon attention alors que d’autres non.
La pratique de l’art numérique influence aussi la perception que j’ai du hasard et de son rôle dans notre expérience quotidienne.
La matière numérique
Les œuvres numériques gardent un caractère « virtuel » - même si mes dessins sont souvent à la base de mes programmes. On peut regretter de ne plus trouver la trace émouvante de la main de l’artiste. Pourtant, la pratique numérique n’est pas si différente des autres formes d’art : l’art naît toujours de la confrontation d’une idée avec une matière. « L’art doit naître du matériau » écrit Jean Dubuffet. La matière questionne et remet en cause l’idée immatérielle de l’artiste. L’art numérique aussi a son propre matériau : c’est le matériel informatique et l’écriture du code. Comme le sculpteur ou le peintre, l’artiste numérique rencontre des limites et trouve petit à petit la manière qui lui correspond. Il doit donner forme à son intuition dans le cadre fini de l’écran numérique et avec les moyens de son habileté à concevoir et développer du code. Et le chemin est parfois long et tortueux de l’idée initiale à l’œuvre aboutie.
Intelligence Artificielle
On me demande parfois si mes programmes relèvent de l’intelligence artificielle. Et bien, non.
De quoi s’agit-il ? La machine, celle qui produit les fameux portraits de la « Famille Belamy », est capable d’ « apprendre » à partir de milliers de portraits existants ce qu’est un portrait et à partir de là de proposer des images qui ont toutes les caractéristiques d’un portrait. Le gros problème est que la machine n’explicite aucune règle ou critère et ne nous apporte rien dans la compréhension de ce qu’est un portrait.
Ceci est particulièrement frustrant pour l’artiste puisque c’est justement l’invention ou la découverte de règles qui est la partie la plus intéressante de l’activité artistique. Autrement dit, au stade actuel, l’intelligence artificielle nous fournit des produits mais ne nous aide en rien à comprendre quelque chose au monde.
C.G., 2018